L’ouvrage de Roberto Leggero est une étude novatrice du développement des structures politiques et de l’organisation économique des communautés rurales de l’actuelle Suisse italienne à la fin du Moyen Âge. En mobilisant des sources documentaires en partie inédites, l’auteur rafraichit brillamment l’histoire politique, économique et sociale du Tessin médiéval, en particulier celle des vallées de la Vallemaggia et de la Léventine.

Le volume se structure en quatre parties distinctes. La première se penche sur le rôle des pratiques testamentaires dans la formation de ce que l’auteur nomme le «patrimoine foncier collectif». La deuxième se confronte à la gestion des ressources des communautés alpines et annonce de fait la troisième partie, réelle contribution à l’histoire politique des communautés rurales tessinoises. De ces réflexions se dessine le quatrième chapitre de l’ouvrage, consacré pour sa part aux rapports diplomatiques entre l’Ancienne Confédération et les États italiens dans la première moitié du XVIe siècle. D’un point de vue documentaire, le travail de Roberto Leggero a le mérite de mobiliser un large éventail de sources de typologies différentes. Testaments, documents fonciers, actes publics et privés, traités diplomatiques et chroniques constituent l’essentiel du corpus mis à contribution par l’auteur afin de croiser ses différents axes de recherche. En annexe, nous retrouvons également l’analyse et la transcription complète de la Descrittione de otto cantoni de Suizzeri, texte inédit rédigé vers 1547 par l’humaniste italien Alessandro Giovio, neveu de Paolo Giovio (1483–1552), évêque et célèbre historien des guerres d’Italie.

Grâce à la mobilisation d’une trentaine de testaments rédigés dans la Vallemaggia, en Léventine et à Locarno entre le XIVe et le XVe siècle, le premier chapitre octroie au lecteur la possibilité de se familiariser avec le contexte historique du Tessin nord-occidental à la fin du Moyen Âge et, d’autre part, de lui faire comprendre la construction progressive du patrimoine foncier de ces diverses communautés. La fine analyse documentaire de Roberto Leggero permet de saisir les mécanismes liés aux pratiques de transmission de l’héritage, «surveillées» par un pouvoir communal s’engageant de manière plus autonome à faire respecter la volonté du testateur ou de la testatrice. La prise en considération de textes normatifs tels que les ordinamenta actées par les communes de Bignasco, Cavergno, Menzonio et Brontallo (1386) ainsi que les sources relatives aux conflits entre les habitants de la Vallemaggia et les notables de Locarno (1398–1403) mettent en lumière la capacité des communautés rurales à structurer une politique territoriale complexe et réfléchie face aux pouvoirs du nord de l’Italie. C’est dans cette partie que Roberto Leggero illustre au mieux son talent de philosophe, en faisant brillamment dialoguer le contenu de la documentation médiévale avec les concepts élaborés par Friedrich Nietzsche dans La Généalogie de la morale (1887).

Dans la deuxième partie – la plus technique de l’ouvrage de Leggero – il est question d’approfondir l’étude de l’administration collective des ressources des vallées de la Suisse italienne (Blenio, Léventine et Riviera). Complexité, flexibilité et pertinence sont les trois caractéristiques principales relevées par l’auteur pour définir l’action gestionnaire des communautés vis-à-vis de leurs ressources économiques, consistant essentiellement dans les pâturages alpins, les forêts, les terres «non cultivables», les systèmes d’irrigation et les routes reliant les «terres des privés» aux propriétés de la communauté. Grâce à une étude comparative avec d’autres espaces de l’arc alpin, l’auteur explique les rouages complexes liés à l’exploitation des ressources naturelles ayant permis la survie des habitants des vallées de la Suisse italienne pendant l’une des périodes les plus troublées – du moins en termes de famine – de l’histoire occidentale.

Il va de soi que l’amélioration de la gestion collective des ressources est en osmose avec l’accroissement des instruments diplomatiques et juridiques des communautés alpines. Le livre met notamment en exergue les échanges politiques entre ces dernières et les pouvoirs urbains du nord de l’Italie. La diplomatie italienne qui fait face à la pluralité des interlocuteurs confédérés, les négociations et l’arbitrage pour la gestion des ressources, de même que les «coutumes» politiques des Suisses sont parmi les principaux thèmes abordés. L’étude de ces problématiques résonne avec la construction de l’identité voire de l’altérité suisse à l’aube des Temps modernes. Ce thème sera également abordé par l’auteur à la fin de son ouvrage grâce, entre autres, à l’analyse du traité d’Alessandro Giovio. Sa Descrittione de otto cantoni de Suizzeri (v. 1547) propose une description détaillée des communautés urbaines et rurales les plus représentatives de la Confédération des VIII cantons (Zurich, Berne, Lucerne, Uri, Schwyz, Unterwald, Zoug et Glaris). Privilégiant une méthode de recherche plus «classique», Roberto Leggero s’interroge sur la tradition documentaire de cette oeuvre, oubliée pendant longtemps par l’historiographie. À l’instar des traités de Nicolas Machiavel et de François Guichardin, cette source inédite met une fois de plus en lumière le rôle primordial joué par les cantons helvétiques – les «Dompteurs des princes» – dans les guerres d’Italie (1494–1559). C’est d’ailleurs à la suite de ce long conflit européen que l’actuelle Suisse italienne sera définitivement incorporée aux domaines de l’Ancienne Confédération.

Zitierweise:
Biolzi, Roberto: Rezension zu: Müller, Annalena: From the Cloister to the State. Fontevraud and the Making of Bourbon France, 1642–1100, New York 2021. Zuerst erschienen in: Schweizerische Zeitschrift für Geschichte 73(3), 2023, S. 365-367. Online: <https://doi.org/10.24894/2296-6013.00134>.